samedi 1 novembre 2008

Quand un fanboy fait un essai historique



Hier soir, j'ai fini de lire un essai sur la bande dessinée aux États-Unis (Comix, A History of Comic Books in America, par Les Daniels) qui m'a assez amusé. Le type a écrit son bouquin en 1971, soit environ en plein milieu de la grande époque du Comix Underground, et bien avant l'avènement du graphic novel. En fait, l'essai est composé de chapitres de huit pages sur plusieurs périodes historiques (comic strips, premiers comic books, la révolution E.C., la révolution Marvel, etc.) accompagnés de plusieurs pages reproduisant certaines des séries que l'auteur évoque (malheureusement, la qualité de reproduction est si médiocre que la lecture de ces archives est pénible et j'ai sauté par-dessus ces sections).

Ce qui est intéressant de cet essai, du point de vue d'un chercheur, amateur et lecteur de plusieurs essais historiques sur la BD, est le regard particulier que l'auteur porte sur les différentes séries de BD en tenant compte de l'époque où il a écrit son bouquin. Dans la section sur les comic strips, Daniels fait grand cas de séries qui sont maintenant tombées dans l'oubli, et fait l'apologie de strips comme Terry and the Pirates par Milton Caniff, qui était certes superbement dessinée mais un peu pauvre d'un point de vue littéraire, alors qu'il fait une mention presque expéditive de Windson McKay, créateur de Little Nemo et probablement l'un des bédéistes les plus créatifs et innovateurs de l'histoire (ses mises en page éclatées ont fait école), et accorde une rapide mention à George Herriman, créateur de Krazy Kat, un strip que les surréalistes européens lisaient avec dévotion et la première bande dessinée à avoir été célébrée et étudiée à l'université pour ses qualités artistiques plutôt que pour sa signification dans la production culturelle.

On peut aussi constater l'enthousiasme de Daniels pour l'époque EC Comics, qu'il qualifie d'âge d'or de la BD américaine. Pour votre information, EC comics, c'est The Crypt of horror, The Vault of Terror, et d'autres titres qui suggèrent éloquemment que l'horreur, la fantaisie et le gore étaient à l'honneur chez cet éditeur (voir image plus bas). Je veux bien que des dessinateurs exceptionnels ont travaillé pour EC, mais la qualité d'impression était médiocre, ce qui abîme considérablement les yeux des lecteurs contemporains qui cherchent en vain à comprendre en quoi EC serait de la bonne BD, et il y a aussi cette détestable propension à employer un lettrage mécanique qui gâche mon plaisir de lecture. Je partage l'opinion de Will Eisner, qui écrit dans Comics and Sequential Art : "typesetting does have a kind of inherent authority but it has a 'mechanical' effect that intrudes on the personality of free-hand art" (p.27). C'est vrai qu'il faut dire à la décharge de Daniels qu'il n'avait pas encore à cette époque de grande bande dessinée à se mettre sous la dent, ce qui peut expliquer pourquoi il apprécie autant les EC comics.

Par contre, ce qui ressort le plus de l'essai de Daniels, c'est qu'il est un fanboy. Un fanboy, c'est un amateur invétéré de comics de super-héros, qui connaît par coeur les rencontres entre différents personnages, qui parle avec une certaine affection de Hulk et qui déteste des supervilains avec la même intensité que certains abhorrent des politiciens. Daniels a une bonne plume et est très articulé, ce qui provoque un effet comique délicieux quand il décrit, dans une envolée lyrique, la profondeur psychologique de certaines séries de Marvel. On ne parle quand même pas de Joyce!

Je vous cite un passage qui m'a vraiment fait rire: dans les années 70, Marvel publiait deux titres très différents: d'un côté, le héros Nick Fury était un soldat implacable et brutal, et de l'autre, le magicien Doctor Strange faisait plein de choses bizarres avec ses pouvoirs (vraiment, il avait l'air gelé sur le peyote). Voici ce que Daniels a à dire sur ces deux séries:

"The appearance of Nick Fury in Strange Tales put him side by side with Dr.Strange. There was virtually no similarity between the two features; in fact the implied political premises of the two strips could not have been more different. Stoned hippies who grooved with Dr. Strange (he lived in Greenwich Village) might have been appaled with the violence of Nick fury. Presumably the red-blooded kids who dug Nick Fury found Dr. Strange a trifle gay."

Bref, une lecture plus intéressante qu'instructive. J'en apprendrai davantage ailleurs, mais les essai des fanboys sont plus rigolos!


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