lundi 19 avril 2010

Fin de session, c'est pas de ma faute

Je sais que j'avais écrit que mon blogue serait mis à jour plus souvent, mais j'ai quand même une fin de session chargée, so there.

Au menu:

Avril:
-Travail final sur l'utopie dans Hicksville de Dylan Horrocks
-Animation d'une table ronde à propos de la bande dessinée et du roman graphique au Festival Métropolis Bleu

Mai:
-Communication à propos de It's A Good Life if You Don't Weaken de Seth
-Communication à propos de la planche infinie dans les Webcomics

Juin:
-Communication à propos de l'iconotextualité dans les arts Web

Juillet:
-Article pour Kinéphanos à propos du roman graphique comme stratégie du cheval de Troie

Cet été:
-Proposition de critique à propos de George Sprott de Seth pour Spirale.

Entretemps, je me suis acheté un truc d'un certain Dash Shaw, ça a l'air ben bon.

G

vendredi 19 mars 2010

Salon Double prise deux

J'ai écrit un texte sur Abandoned Cars de Tim Lane pour Salon Double. C'est une œuvre remarquable et fascinante, qui réussit à traiter de la vie des gens ordinaires et dont l'existence à l'ombre des riches passe inaperçue. Je viens de prendre conscience (donc ça n'est pas écrit dans le texte)que ce livre parvient à traiter d'une sorte de misère humaine, de manière touchante et pénétrante, sans être une lecture déprimante en soi.

Je vous invite donc à aller lire mon texte sur le site de Salon Double (qui a pas mal plus de gueule que ce blogue). Si vous ne connaissez pas SD, c'est une initiative excellente de quelques amis et collègues, qui propose des articles à propos d'oeuvres littéraires contemporaines à mi-chemin entre l'analyse "scientifique" des études littéraires et la critique culturelle. Autrement dit, faire profiter du savoir-faire des études supérieures en littérature sans être barbant.

Ceci dit, je suis pleinement conscient que c'est un peu du réchauffé que je vous sers là. Mais du nouveau s'en vient!

J'ai fait une communication orale dans mon cours de sémiologie de l'image à propos de l'adaptation en bande dessinée de l'excellent film d'animation Valse avec Bachir, du réalisateur israélien Ali Folman. Si vous ne l'avez pas vu, je vous encourage, non, je vous implore de le voir très bientôt. Je doutais de la valeur intrinsèque d'un projet d'adaptation du film en bande dessinée, et mes doutes ont été confirmés. Je l'explique en long et en large dans le texte, mais comme c'était une présentation orale, le texte que je m'étais préparé ressemble plutôt à un long télégraphe que je suis probablement seul à pouvoir comprendre. Je vais donc le retaper pour le rendre compréhensible et le mettrai ici bientôt.

jeudi 25 février 2010

Un millions de dollars pour un comic: ça va pas, non?


En l'espace de quelques jours, des records ont été établis pour la vente aux enchères de deux comic books vieux de quelques soixantaines d'années. En effet, Le premier numéro de Action Comics, mettant en vedette Superman, s'est vendu pour un million de dollars le 22 février dernier, et quelques jours plus tard, le record a été battu par la vente aux enchères du vingt-septième numéro de Detective Comics, dans lequel Batman fait sa première apparition.

Ceci n'est ni fabuleux ni intéressant du point de vue de la bande dessinée, parce que ça n'a pratiquement rien à voir avec l'art. Tout au plus l'objet qui a été échangé de mains est-il un vieux comic book: pour le reste, c'est affaire de commerce, de valeur marchande et de gros sous. Autrement dit, ce ne sont peut-être même pas des fans de bande dessinée qui ont déboursé un tel montant pour se porter acquéreurs d'œuvres historiques (sans forcément être très bonnes); toutefois, ce sont assurément des investisseurs.

Je m'explique. Le format de publication du comic book a été inventé afin de refourguer des comic strips déjà parus dans les journaux. Le support de cette opération de recyclage était médiocre: papier journal, encre merdique, relié avec une agrafe, le comic était conçu pour être vite produit, vite vendu et, d'une certaine manière, vite détruit, créant ainsi la nécessité chez le consommateur d'en acheter un autre. C'est une belle démonstration du vice de fabrication, création du diable faisant en sorte que les produits électriques et électroniques nous pètent dans les mains au bout de quelques années.

Pour renforcer cette idée de produit commercial usiné, de manière à répondre à une demande croissante des enfants friands de bande dessinée et puisque le recyclage de matériel déjà produit ne fournit plus, on invente rapidement, dans les premiers temps du comic book, des shops de "création", dans lesquelles un scénariste, un dessinateur, un encreur, un lettreur et un coloriste travaillent à la même œuvre. Ce qui sort de cette production à la chaîne est évidemment un truc formulaïque créé à partir d'un moule stable, et ennuyeux comme la pluie.

Le Action Comics qui vaut un million de dollars a fait date précisément parce qu'il a "créé un monstre". Le personnage de Superman, quand même inventé avec une visée originale par Joe Shuster et Jerry Siegel, créé la sensation parce qu'il propose une figure iconique qui deviendra très populaire. Les jeunes commencent à réclamer aux vendeurs de journaux "that comic with the man in blue and red", faisant ainsi en sorte que le personnage emblématique devienne le premier critère de popularité d'une série, et non le travail de ses artistes. Incidemment, le choix des couleurs du costume de Superman n'est pas une décision artistique: il fallait que le personnage soit clairement identifiable par les lecteurs, et les contraintes liées aux faibles qualités d'impression à l'époque ont conduit Siegel et Shuster à opter pour des couleurs criardes.

C'est Superman qui a fait en sorte que le marché du comic book a été dominé par le super-héros, au détriment du travail et du style d'un artiste, instaurant une ère historique pendant laquelle le média de la bande dessinée s'est confondue avec le genre du super-héros qui lui était quasi-exclusif et prépondérant. Un support empêchant la pérennité, un récit formulaïque de créature invraisemblable, un lectorat d'enfants: pas étonnant que la bande dessinée a dû attendre longtemps avant d'acquérir le respect aux États-Unis!

Revenons à la question du million de dollars: pourquoi le premier Action Comics vaut-il autant? Bien, justement, parce qu'il est très rare: il a été publié il y a plus de soixante ans, et seul quelqu'un avec une certaine vision d'avenir aurait pu penser qu'il vaudrait une fortune un jour. Cette personne aurait dû, en plus de faire preuve d'un esprit spéculatif étonnant, considérer qu'il était nécessaire de mettre à l'abri son comic sous un emballage le préservant de la corrosion et de l'acidité, de manière à le garder dans un état de préservation décuplant sa valeur.

Quand le marché des comics rares a émergé de manière importante dans les années 1980, les éditeurs ont profité de la vague pour lancer plusieurs séries sans grand intérêt, de manière à mettre sous presse des "numéro 1" qui pourraient potentiellement valoir un pactole éventuellement. Bien des jeunes ont alors acheté des caisses pleines de Night Turtle 1, Invisible Crusaders 1 et Terror Hawk and Lady Sock 1 en pensant à sa valeur éventuelle. Évidemment, on ne peut inonder le marché de produits qui acquéreraient une valeur en vertu de leur rareté: au final, bien de la merde s'est entassée dans les sous-sol de jeunes lecteurs qui n'ont pas fait un sou en se procurant des premiers numéros de séries débiles.

En somme, le Action Comics numéro 1 s'est vendu pour un million de dollars principalement parce qu'il est très rare, particulièrement s'il est en bon état, et aussi un peu en raison de son importance historique. Ce qui est foncièrement stupide, toutefois, c'est que l'acheteur de ce comic n'aura pas le loisir de le lire: le sortir de son emballage lui ferait perdre énormément de sa valeur marchande. C'est un artefact qui perd complètement sa fonction lecturale de par son statut de pépite d'or. Quel lecteur qui se respecte voudrait payer cher pour acheter un livre qu'il serait contre-indiqué de lire? Du reste, on peut le lire facilement, il a été ré-imprimé des milliers de fois: on peut d'ailleurs constater à quel point il n'est pas très intéressant...


Jetez simplement un coup d'oeil à la couverture: on dirait que Superman est un monstre furieux qui détruit la ville et terrorise les citoyens (du moins si on se fie au visage effrayé du quidam dans le coin inférieur gauche de l'image...)

vendredi 19 février 2010

Bon là ça va faire

J'ai laissé la poussière accumuler sur cet espace virtuel depuis tellement longtemps que j'ai eu le temps de visiter un autre pays (dont j'ai ramené une intégrale de Mafalda en langue originale) avant de penser à réactiver mon compte.

Ce qui explique cette longue absence est d'abord le fait que j'ai encore de la difficulté à utiliser le format du blogue correctement. Je me lance toujours dans des grandes envolées qui me prennent un temps à compléter, et disons que dans les derniers mois c'était un investissement de temps inversement proportionnel à la progression de mon mémoire. Maintenant que j'ai complété ce long texte, je me suis dit que je pourrais songer à remettre sur les rails ce projet.

Certains de mes collègues universitaires ont des blogues qu'ils utilisent comme terrain de jeu pour leurs recherches. Je pourrais un peu faire de même: à la fois mettre en valeur les textes déjà publiés ailleurs, déposer mes travaux d'école qui ne seraient jamais diffusés autrement et livrer quelques impressions des machins que je lis au passage, au détriment des trucs plus imposant, pressants et compliqués qui jonchent mon bureau.

Tiens, par exemple, hier je me suis acheté pour une seconde fois Hicksville de Dylan Horrocks parce que je me suis rappelé que c'est un sérieux candidat pour un travail de fin de session dans un séminaire sur l'altérité (ex-aequo avec le Acme Novelty 17 et Generation X de Douglas Coupland), et au passage je me suis ramassé Born Again, une collection de comics de Daredevil scénarisé par Frank Miller et dessiné par David Mazzucchelli (mais disons qu'on reconnaît le style Miller). J'avais acheté à rabais la version française d'une partie de ce récit il y a plus de 10 ans et, bon, je voulais lire la fin, parce qu'autrement je ne suis pas un grand fan de superhéros. Disons que si le récit n'est pas glorieux, contraintes éditoriales Marvel oblige, la plume est chouette et préfigure le ton roman noir de Miller si bien déployé dans les Sin City. Et Mazzucchelli? On comprend son potentiel, qui s'est révélé encore mieux dans City of Glass et qui atteint son apothéose dans Asterios Polyp. Mais je vous en reparle bientôt.

Bon, dans pas trop long je vais mettre en ligne un texte sur l'adaptation de Valse avec Bachir en bande dessinée. En fait, je vais expliquer pourquoi l'adaptation est un peu merdeuse. Et j'ai placé une commande pour l'intégrale d'Alec, le projet autofictionnel d'Eddie Campbell.

lundi 27 juillet 2009

Things to do in San Francisco when you read comics.

(Le titre de cette entrée fait référence à un film que je n'ai pas vu, Things to Do in Denver When You're Dead, mais qui a un titre assez fantastique).

J’ai récemment passé une semaine à San Francisco, ville tout à fait agréable et magnifique, particulièrement escarpée dans certains des meilleurs quartiers et remplie de librairies en tout genre. J’aime la littérature en général et la bande dessinée en particulier, mais j’ai choisi pour ces vacances de me consacrer à la recherche de livres d’écrivains américains en langue originale, puisque les librairies anglophones usagées ne sont pas légion à Montréal et sont moins fournies que celles de la Californie.


Toutefois, je n’allais quand même pas ne pas visiter les boutiques de bande dessinée pour autant!

San Francisco est, après tout, un lieu important dans l’histoire de la BD américaine, puisqu’il fut un point de convergence du mouvement Underground (Zap Comix, anyone?). Mon directeur de recherche m’avait d’ailleurs laissé entendre que beaucoup de boutiques dans Haight-Ashbury présentaient encore des vieux comix et des nouveaux romans graphiques dans leurs vitrines, probablement un peu pour commémorer cette période importante de l’histoire du comic art et beaucoup pour vendre aux touristes des « produits locaux ». En fait, ce fut peut-être le cas jusqu’à récemment, mais présentement il n’en est rien : sur Haight, on peut acheter du beau linge cher de hipster et beaucoup de T-shirts





















(il faut quand même que je mentionne qu’on pouvait acheter des vieux comix underground dans le fond de cette boutique).



Pas trop loin de ce « mythique » coin de rue (qui abrite maintenant une boutique RCVA,et un Ben & Jerry’s), je suis tombé sur Comix Experience, qui serait apparemment le premier établissement du genre dans la ville - et probablement aux États-Unis : le mouvement du direct sale - où les comics ont graduellement cessé d’être principalement vendus dans des kiosques à journaux grâce à l’apparition de boutiques spécialisées - a commencé vers cette époque. La boutique n’est pas très grande, mais assez sympathique, et vend presque à 40% de la BD alternative (en respectant la logique habituelle, soit des super-héros en entrant et des BD plus sérieuses dans le fond). Pas beaucoup de Fanzines, ce qui m’a un peu surpris, et une section spéciale BD homosexuelle, ce qui ne m’a pas étonné.

Dans un quartier un peu moins glamour, et en moins fourni, la boutique Isotope Comics est un très beau local, dont la sélection n’est pas spectaculaire et surtout très orientée sur les créatures avec des super-pouvoirs. Quand je suis passé, le tenancier (qui arborait une coupe de cheveux immonde) était en pleine discussion avec un client qui est le prototype de l’amateur de BD débile : apparence de vierge-de-quarante-ans, lunettes immenses, discute des mérites d’un dessinateur et des pouvoirs d’une membre de X-Force avec la même aisance et autant de sérieux. Je me suis sauvé rapidement.


La pire expérience est survenue dans le Sunset district. Une amie m’avait informé de la présence de nombreuses librairies usagées sur la rue Irving, juste au sud du Golden gate Park. Après investigation, Y A RIEN PANTOUTE DANS CE COIN LÀ!



C’est en arrêtant dans un café que j’ai remarqué Amazing Fantasy, une boutique en face qui avait, peinturée en haut de la vitrine, une grosse muraille de Spiderman. J’ai décidé d’aller vérifier, en me disant que mon périple dans ce quartier ennuyeux n’aurait pas été en vain. Quelle déception : à peine pouvait-on trouver quelques copies de Optic Nerve, deux ou trois titres de Drawn and Quarterly et l’indispensable Maus. En revanche, il y avait des copies dans un état incertain du seizième round de combat entre Hulk et un ennemi ennuyant, réalisé par des artistes moyens, pour la modique somme de 75 dollars


Toutefois, pire encore que cette boutique, j’ai découvert dans Castro, le quartier gai, un comic book store qui ne possédait aucune bande dessinée ne mettant pas en vedette des justiciers masqués. Un rêve de geek, un cauchemar pour moi. Pour prouver comment les tenanciers du magasin n’ont rien à faire de mon opinion et de celui de gens qui croient que la bande dessinée est un média qui ne se limite pas à un seul genre narratif, le magasin s’appelle Whatever


Mais, pour prouver que je ne suis pas de mauvaise foi, je dirais que si j’habitais à San Francisco (ce qui ne devrait jamais se produire, considérant les coûts prohibitifs des loyers), je ferais tous mes achats chez Al’s Comics. Situé sur la rue Market, Al’s Comics vend beaucoup de comic books de super-héros (d’ailleurs je ne blâme aucun des commerces précédemment mentionnés d’en tenir énormément, ça vend beaucoup et il faut payer le loyer prohibitif mentionné plus haut), mais aussi des vieux Archie, des vieux comix underground, des vieux n’importe quoi. La section alternative n’est pas aussi fournie que Drawn and Quarterly (admettez que c’est difficile à surclasser), mais la boutique est très jolie, pleine à craquer, le proprio est avenant et m’aurait même offert de commander une rareté nonobstant le fait qu’il me connaissait depuis 5 minutes, et j’ai failli y acheter une tasse à café de Watchmen qui change de couleur lorsque remplie d'un liquide chaud.


Ce qui m’amène à…



… qui est minuscule, à mon grand dam. J’ai quand même pu y admirer des originaux de Herriman (sans retouche, sans surprise), de Eisner (une planche de Spirit, soit une des huit qu’il faisait par semaine, et avec beaucoup de retouches, sans surprise mais quand même impressionnant), de Crumb (vraisemblablement griffonné en 5 minutes sur une feuille mobile, mais tout de même techniquement parfaite, sacré Crumb), et de Schultz (qui était vraiment, vraiment immense, surtout considérant que le vénérable Sir Charles a produit un strip original à chaque jour de sa carrière de plus de 40 ans – en faisant des retouches millimétriques au sourire de Linus, pour la peine).


Le clou de la collection est arrivé quand j’ai tourné le coin de la première pièce. Ce qui a d’abord frappé mon regard était une immense statue de Rorsach, à l’effigie du personnage dans le film. Je me suis d’abord dit « bienvenue au musée des horreurs », puis…


L’extase.


Des originaux. Des comics première édition, des sketches de Gibbons, des thumbnails, des planches…


L’extase.


Bon, ce ne sont pas les planches originales les plus saisissantes que j’ai vu dans ma vie, mais comme Watchmen est dans mon top 10 de bandes dessinées préférées et que j’y ai déjà consacré deux communications de colloque et une conférence – sans parler du chapitre de mémoire qui est en route – le moment était transcendant.


Après avoir admiré de manière inquiétante ces objets d’art, je me suis dirigé vers l’entrée, où m’attendait mon appareil photo et le sac qui le contenait. Je reproduis l’intégrale de la conversation avec le bénévole du guichet d’accueil :


- Hey, I’m pretty sure we’re not allowed to take pictures in the museum, but you see, I’m writing my master’s paper on Watchmen, so I’d really appreciate it if you’d let me take a couple of pictures of the exhibit.

- Yeah, but visitors are not allowed to take pictures inside the museum.


-It would really mean a lot to me. I won’t use my flash.


-… Really, we’re not allowed-


-Allright, listen, either you let me take those pictures, or there will be blood.


-…


-…


-…I’ll check with the manager


Après un court palabre où le pauvre employé a probablement expliqué à son patron qu’un fou furieux l’avait menacé physiquement, il est venu me donner l’autorisation de prendre des photos qui ne sont vraiment pas glorieuses, mais qui témoignent tout de même du fait que j’ai vécu ce moment extraordinaire :


Par contre, mon réel coup de cœur de San Fancisco pour les amoureux de bande dessinée est survenu sur la rue Valencia, un espèce d’hybride entre la Main, le plateau et la rue Masson (pour son absence de prétention). Je flânais tranquillement à la recherche de rien en particulier quand je me suis retourné dans raison et ai spontanément crié dans ma tête OH SHIT UN CHRIS WARE :


Après vérification plus détaillée, ce n’était pas un Chris Ware original, parce que Chris Ware travaille bien sur des grandes surfaces (pour de la bande dessinée), mais il aboutit quand même à des résultats qui doivent être lus avec une loupe. Il est donc évident que Chris Ware aurait pris autant de temps à réaliser cette murale que Michel-Ange a pris de temps pour peindre la voûte de la chapelle Sixtine, et à mon avis, on aurait dû considérer avec la même révérence cet accomplissement artistique. Après vérification, il s’agit en fait d’une reproduction du quatrième de couverture de Quimby the Mouse. Et même si ce n’est pas l’original, n’est-ce pas fantastique?


En somme, même si San Francisco propose surtout des boutiques de bande dessinée desservant une clientèle férue de super-héros, on peut se trouver de la BD de qualité dans cette ville, et je ne mentionne même pas les sections « comics and graphic novels » des librairies usagées, remplies avec goût et connaissance de la production contemporaine. Dans quelle autre ville pourrait-on trouver des fanatiques prêts à rivaliser en acharnement avec la méticulosité de Chris Ware afin de reproduire son travail? Dans quelle autre ville peut-on trouver une boutique de design graphique où on vend l’édition anglaise de Nicolas?


Réponse : je ne sais pas, je ne voyage pas beaucoup, mais je répondrais New York à tout hasard.

mercredi 10 juin 2009

Manque d'imagination

J'ai lu récemment une entrevue avec Alan Moore (dans le magazine Bang!, numéro 5, 2004) où celui-ci, à un certain moment, déplore le manque d'imagination dont ont fait preuve les créateurs - et scénaristes subséquents - de récits de super-héros, qui ont ressassé les mêmes propos et situations narratives jusqu'à créer, en un laps de temps assez court, un bassin immense de clichés éculés et exploités jusqu'à en extraite toute saveur. La fadeur règne en maître dans le monde du comics de super-héros.

Les exceptions à la règle sont très rares, et sont rapidement devenus emblématiques: Watchmen, The Dark Knight Returns, Arkham Asylum, The Killing Joke, Kingdom Come... et j'en passe, bien évidemment, mais j'insiste sur la notion d'exception qui fait de ces oeuvres des classiques au milieu d'un océan de mièvrerie.

J'ai fait la ronde des colloques depuis le début de l'année en abordant Watchmen et The Dark Knight Returns. Voici ce qui peut en ressortir rapidement : Watchmen est exceptionnel parce qu'il s'efforce de sortir des contraintes et barèmes du genre de super-héros jusqu'à en faire un drame psychologique avec des personnages principaux de justiciers masqués (pour faire simple), et dont l'analyse soutenue déborde rapidement des limites du genre (parce qu'étudier la figure du livre, l'utopie ou la menace nucléaire est plus intéressant que d'étudier le statut du super-héros dans cette oeuvre). Le Comics Code a tellement réussi à aseptiser le comics de super-héros que dans le dernier chapitre de The Dark Knight Returns, lorsque Batman fout une droite à Superman, on assiste à un moment d'une telle subversivité qu'en comparaison, mettre une image de pornographie scabreuse aurait probablement été moins offensant, tellement l'idée que Batman puisse vouloir mettre son poing sur la gueule de Superman paraissait invraisemblable et choquante.

Les quelques récits moindrement intéressants publiés par la suite ont voulu reprendre ce qui paraissait naïvement faire le bonheur de ces oeuvres: offrir un traitement plus profond des personnages, ce qui s'est trop souvent traduit par un récit où le personnage principal se transforme en enfoiré aux prises avec des problèmes internes graves. Désolé, mais la surenchère de Miller et l'expansion de Moore et Gibbons étaient des innovations, qu'il était impossible de rééditer et péremptoire de vouloir dépasser.

Je ne voudrais pas dénigrer l'ensemble du genre de super-héros par cette affirmation. Je ne pense pas, de toute manière, que les lecteurs de comics de Marvel, DC et leurs semblables sont à la recherche de grande littérature lorsqu'ils se farcissent les aventures des X-Men ou de Superman à chaque semaine. Je regarde des films d'action et beaucoup de sport à la télévision, et je ne me fais pas croire que je m'adonne à une grande activité culturelle et intellectuelle lorsque je le fais. Il en va de même pour les lecteurs de comics mainstream, et je n'en ferai pas tout un plat.

Ce qui est plus problématique, c'est que la totalité de la BD américaine est associée à la production de récits de super-héros, généralisation compréhensible puisque la vaste majorité de ce qui est en kiosque, et connu du public, confirme cette opinion hâtive. Et comme je me suis mérité à mon insu le titre de "spécialiste de la bédé américaine" récemment, je vis mal avec le fait que cette BD soit assimilée automatiquement à une production pauvre du point de vue littéraire.

La BD américaine, c'est aussi Black Hole, It's A Good Life If You Don't Weaken, David Boring, Optic Nerve, Love's Savage Fury, Love and Rockets, et j'en passe... Mais ça, il faut l'expliquer en long et en large, convaincre son auditoire et surtout, insister sur le fait que la BD américaine n'est pas que du combat en costumes de couleurs éclatantes...

Si je tenais absolument à ne pas être assimilé à la BD de super-héros, me direz-vous, j'aurais probablement pu choisir de ne pas aborder Watchmen et DRK dans mes communications. Et je ne pourrais que me défendre en répondant que:

1-Dark Knight Returns, je l'ai abordé dans un colloque sur la violence, où c'était extrêmement pertinent de le faire, d'autant plus que je mesurais l'oeuvre de Miller à l'aune de l'histoire éditoriale de la BD de super-héros américaine
2- Watchmen est une oeuvre inépuisable, qui peut se relire au moins 10 fois sans s'en lasser, ce qui ne nuit pas quand on compte écrire un mémoire dessus. De plus, c'est un incontournable, un passage obligé et une grande oeuvre qui légitime à elle seule le statut d'art que se mérite de plein droit la bande dessinée.
3- Je ne me plaindrai jamais d'avoir à lire ces deux oeuvres, et je ne regrette pas d'avoir une culture limitée mais respectable du genre de super-héros.

(Ceci dit, j'ai un plan quinquennal et au delà qui m'amènera tôt ou tard à aborder les autres oeuvres mentionnées plus haut.)

Malgré tout, je ne pense pas que je pourrais continuer à trairer de la BD de super-héros très longtemps. Le concept qui en est la prémisse peut permettre des réflexions pertinentes mais pas à l'infini, et du reste, c'est vrai aussi du point de vue de la création que de l'analyse. Il y a des limites à l'imagination.

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Il s'est récemment publié un essai philosophique autour du concept de super-héros. Ce livre (que je lirai probablement un jour) doit être aussi intéressant que la vaste majorité de l'art conceptuel: fascinant lorsqu'on se met à réfléchir autour de l'oeuvre, mais pratiquement une punition quand on doit l'aborder au niveau formel. À la place de l'auteur, je me serais rapidement lassé de lire des aventures de Captain America et je serais rapidement retourné à Platon...

mardi 7 avril 2009

Zack Snyder ne mérite pas la mort (mais il devrait s'occuper à autre chose)

Ai finalement vu, un peu contre mon gré et sous prétexte d'intégrité professionnelle, Watchmen le film. Contrairement à ce que je proclamais jusqu'à récemment, je ne suis pas sorti de la salle en voulant tuer tout le monde. On s'entend: je n'ai pas adoré, mais je n'ai pas trouvé que ce film était la pire adaptation de tous les temps.

Je dois concéder quelques points à Zack Snyder: il a créé un univers visuel des plus saisissants, et il sait tourner des scènes d'actions. Celles-ci sont carrément exagérées dans Watchmen, et même déplacées en égard du récit original (qui ne faisait rien pour insister sur la baston).

Quelques gros problèmes, par contre : une des grandes forces de Watchmen était d'intégrer de manière très habile plusieurs trames narratives. Snyder s'est résout à ne pas toutes les présenter dans son film (qui dure déjà un bon 3 heures, alors on peut comprendre). D'ailleurs, même en se "contentant" de la trame narrative principale, Snyder a coupé dans le gras, et le rythme du film est si soutenu qu'on se fait bombarder d'informations à un rythme indigeste. Pas certain que quelqu'un qui n'a pas lu le roman graphique peut tout comprendre au premier visionnement.

Ceci m'amène donc à me (re)poser la question: pourquoi avoir adapté cette oeuvre en film? Le roman graphique est génial à bien des égards, notamment parce qu'il est extrêmement dense (mais plus digeste parce qu'on peut ajuster son rythme de lecture et emmagasiner les informations plus aisément), qu'il entrecroise des trames narratives en apparence indépendantes mais inextricablement liées au final, et parce qu'il opère un bouleversement du récit de super-héros (et même de la manière dont le récit de super-héros est présenté, soit avec une faible proportion d'action et de combats). Si, pour en faire un film, on doit larguer ces éléments de première importance, soit en balançant en rafale la principale trame narrative et en exagérant les scènes d'action pour combler un public qui s'attend à voir un film de super-héros, l'exercice semble assez vain.

Il y a quand même des moments vachement intéressants. Le film en vaut la peine pour les initiés, ne serait-ce que pour le générique d'ouverture, qui aligne les ralentis permettant de mettre en place l'univers uchronique de Watchmen sur fond sonore de Bob Dylan. Apparence aussi que la version DVD fera quatre heures, et que le montage distendu donne moins l'impression d'avoir charcuté le récit.

Je pense quand même que les prix à payer pour transposer le roman graphique en film était trop élevé pour que l'exercice en vaille la peine. Surtout si au passage la fin subit une altération assez importante pour sembler ridicule quand on y repense, et qu'on doive de la sorte laisser de côté des aspect importants de l'oeuvre originale (soit la réflexion autour de l'utopie, et le rapport au pouvoir de la figure de texte imprimé, dont l'absence dans le film fait perdre beaucoup d'impact à la scène finale).

Ceci dit, Zack Snyder peut faire de bons films, s'il renonce à s'attaquer à de grandes oeuvres au propos chargé. Il devrait mieux s'en tirer avec les films de kung-fu qu'avec les drames psychologiques (ce qui, à bien y penser, décrit presque mieux Watchmen que tout autre tentative de classement dans un genre).