lundi 27 juillet 2009

Things to do in San Francisco when you read comics.

(Le titre de cette entrée fait référence à un film que je n'ai pas vu, Things to Do in Denver When You're Dead, mais qui a un titre assez fantastique).

J’ai récemment passé une semaine à San Francisco, ville tout à fait agréable et magnifique, particulièrement escarpée dans certains des meilleurs quartiers et remplie de librairies en tout genre. J’aime la littérature en général et la bande dessinée en particulier, mais j’ai choisi pour ces vacances de me consacrer à la recherche de livres d’écrivains américains en langue originale, puisque les librairies anglophones usagées ne sont pas légion à Montréal et sont moins fournies que celles de la Californie.


Toutefois, je n’allais quand même pas ne pas visiter les boutiques de bande dessinée pour autant!

San Francisco est, après tout, un lieu important dans l’histoire de la BD américaine, puisqu’il fut un point de convergence du mouvement Underground (Zap Comix, anyone?). Mon directeur de recherche m’avait d’ailleurs laissé entendre que beaucoup de boutiques dans Haight-Ashbury présentaient encore des vieux comix et des nouveaux romans graphiques dans leurs vitrines, probablement un peu pour commémorer cette période importante de l’histoire du comic art et beaucoup pour vendre aux touristes des « produits locaux ». En fait, ce fut peut-être le cas jusqu’à récemment, mais présentement il n’en est rien : sur Haight, on peut acheter du beau linge cher de hipster et beaucoup de T-shirts





















(il faut quand même que je mentionne qu’on pouvait acheter des vieux comix underground dans le fond de cette boutique).



Pas trop loin de ce « mythique » coin de rue (qui abrite maintenant une boutique RCVA,et un Ben & Jerry’s), je suis tombé sur Comix Experience, qui serait apparemment le premier établissement du genre dans la ville - et probablement aux États-Unis : le mouvement du direct sale - où les comics ont graduellement cessé d’être principalement vendus dans des kiosques à journaux grâce à l’apparition de boutiques spécialisées - a commencé vers cette époque. La boutique n’est pas très grande, mais assez sympathique, et vend presque à 40% de la BD alternative (en respectant la logique habituelle, soit des super-héros en entrant et des BD plus sérieuses dans le fond). Pas beaucoup de Fanzines, ce qui m’a un peu surpris, et une section spéciale BD homosexuelle, ce qui ne m’a pas étonné.

Dans un quartier un peu moins glamour, et en moins fourni, la boutique Isotope Comics est un très beau local, dont la sélection n’est pas spectaculaire et surtout très orientée sur les créatures avec des super-pouvoirs. Quand je suis passé, le tenancier (qui arborait une coupe de cheveux immonde) était en pleine discussion avec un client qui est le prototype de l’amateur de BD débile : apparence de vierge-de-quarante-ans, lunettes immenses, discute des mérites d’un dessinateur et des pouvoirs d’une membre de X-Force avec la même aisance et autant de sérieux. Je me suis sauvé rapidement.


La pire expérience est survenue dans le Sunset district. Une amie m’avait informé de la présence de nombreuses librairies usagées sur la rue Irving, juste au sud du Golden gate Park. Après investigation, Y A RIEN PANTOUTE DANS CE COIN LÀ!



C’est en arrêtant dans un café que j’ai remarqué Amazing Fantasy, une boutique en face qui avait, peinturée en haut de la vitrine, une grosse muraille de Spiderman. J’ai décidé d’aller vérifier, en me disant que mon périple dans ce quartier ennuyeux n’aurait pas été en vain. Quelle déception : à peine pouvait-on trouver quelques copies de Optic Nerve, deux ou trois titres de Drawn and Quarterly et l’indispensable Maus. En revanche, il y avait des copies dans un état incertain du seizième round de combat entre Hulk et un ennemi ennuyant, réalisé par des artistes moyens, pour la modique somme de 75 dollars


Toutefois, pire encore que cette boutique, j’ai découvert dans Castro, le quartier gai, un comic book store qui ne possédait aucune bande dessinée ne mettant pas en vedette des justiciers masqués. Un rêve de geek, un cauchemar pour moi. Pour prouver comment les tenanciers du magasin n’ont rien à faire de mon opinion et de celui de gens qui croient que la bande dessinée est un média qui ne se limite pas à un seul genre narratif, le magasin s’appelle Whatever


Mais, pour prouver que je ne suis pas de mauvaise foi, je dirais que si j’habitais à San Francisco (ce qui ne devrait jamais se produire, considérant les coûts prohibitifs des loyers), je ferais tous mes achats chez Al’s Comics. Situé sur la rue Market, Al’s Comics vend beaucoup de comic books de super-héros (d’ailleurs je ne blâme aucun des commerces précédemment mentionnés d’en tenir énormément, ça vend beaucoup et il faut payer le loyer prohibitif mentionné plus haut), mais aussi des vieux Archie, des vieux comix underground, des vieux n’importe quoi. La section alternative n’est pas aussi fournie que Drawn and Quarterly (admettez que c’est difficile à surclasser), mais la boutique est très jolie, pleine à craquer, le proprio est avenant et m’aurait même offert de commander une rareté nonobstant le fait qu’il me connaissait depuis 5 minutes, et j’ai failli y acheter une tasse à café de Watchmen qui change de couleur lorsque remplie d'un liquide chaud.


Ce qui m’amène à…



… qui est minuscule, à mon grand dam. J’ai quand même pu y admirer des originaux de Herriman (sans retouche, sans surprise), de Eisner (une planche de Spirit, soit une des huit qu’il faisait par semaine, et avec beaucoup de retouches, sans surprise mais quand même impressionnant), de Crumb (vraisemblablement griffonné en 5 minutes sur une feuille mobile, mais tout de même techniquement parfaite, sacré Crumb), et de Schultz (qui était vraiment, vraiment immense, surtout considérant que le vénérable Sir Charles a produit un strip original à chaque jour de sa carrière de plus de 40 ans – en faisant des retouches millimétriques au sourire de Linus, pour la peine).


Le clou de la collection est arrivé quand j’ai tourné le coin de la première pièce. Ce qui a d’abord frappé mon regard était une immense statue de Rorsach, à l’effigie du personnage dans le film. Je me suis d’abord dit « bienvenue au musée des horreurs », puis…


L’extase.


Des originaux. Des comics première édition, des sketches de Gibbons, des thumbnails, des planches…


L’extase.


Bon, ce ne sont pas les planches originales les plus saisissantes que j’ai vu dans ma vie, mais comme Watchmen est dans mon top 10 de bandes dessinées préférées et que j’y ai déjà consacré deux communications de colloque et une conférence – sans parler du chapitre de mémoire qui est en route – le moment était transcendant.


Après avoir admiré de manière inquiétante ces objets d’art, je me suis dirigé vers l’entrée, où m’attendait mon appareil photo et le sac qui le contenait. Je reproduis l’intégrale de la conversation avec le bénévole du guichet d’accueil :


- Hey, I’m pretty sure we’re not allowed to take pictures in the museum, but you see, I’m writing my master’s paper on Watchmen, so I’d really appreciate it if you’d let me take a couple of pictures of the exhibit.

- Yeah, but visitors are not allowed to take pictures inside the museum.


-It would really mean a lot to me. I won’t use my flash.


-… Really, we’re not allowed-


-Allright, listen, either you let me take those pictures, or there will be blood.


-…


-…


-…I’ll check with the manager


Après un court palabre où le pauvre employé a probablement expliqué à son patron qu’un fou furieux l’avait menacé physiquement, il est venu me donner l’autorisation de prendre des photos qui ne sont vraiment pas glorieuses, mais qui témoignent tout de même du fait que j’ai vécu ce moment extraordinaire :


Par contre, mon réel coup de cœur de San Fancisco pour les amoureux de bande dessinée est survenu sur la rue Valencia, un espèce d’hybride entre la Main, le plateau et la rue Masson (pour son absence de prétention). Je flânais tranquillement à la recherche de rien en particulier quand je me suis retourné dans raison et ai spontanément crié dans ma tête OH SHIT UN CHRIS WARE :


Après vérification plus détaillée, ce n’était pas un Chris Ware original, parce que Chris Ware travaille bien sur des grandes surfaces (pour de la bande dessinée), mais il aboutit quand même à des résultats qui doivent être lus avec une loupe. Il est donc évident que Chris Ware aurait pris autant de temps à réaliser cette murale que Michel-Ange a pris de temps pour peindre la voûte de la chapelle Sixtine, et à mon avis, on aurait dû considérer avec la même révérence cet accomplissement artistique. Après vérification, il s’agit en fait d’une reproduction du quatrième de couverture de Quimby the Mouse. Et même si ce n’est pas l’original, n’est-ce pas fantastique?


En somme, même si San Francisco propose surtout des boutiques de bande dessinée desservant une clientèle férue de super-héros, on peut se trouver de la BD de qualité dans cette ville, et je ne mentionne même pas les sections « comics and graphic novels » des librairies usagées, remplies avec goût et connaissance de la production contemporaine. Dans quelle autre ville pourrait-on trouver des fanatiques prêts à rivaliser en acharnement avec la méticulosité de Chris Ware afin de reproduire son travail? Dans quelle autre ville peut-on trouver une boutique de design graphique où on vend l’édition anglaise de Nicolas?


Réponse : je ne sais pas, je ne voyage pas beaucoup, mais je répondrais New York à tout hasard.

mercredi 10 juin 2009

Manque d'imagination

J'ai lu récemment une entrevue avec Alan Moore (dans le magazine Bang!, numéro 5, 2004) où celui-ci, à un certain moment, déplore le manque d'imagination dont ont fait preuve les créateurs - et scénaristes subséquents - de récits de super-héros, qui ont ressassé les mêmes propos et situations narratives jusqu'à créer, en un laps de temps assez court, un bassin immense de clichés éculés et exploités jusqu'à en extraite toute saveur. La fadeur règne en maître dans le monde du comics de super-héros.

Les exceptions à la règle sont très rares, et sont rapidement devenus emblématiques: Watchmen, The Dark Knight Returns, Arkham Asylum, The Killing Joke, Kingdom Come... et j'en passe, bien évidemment, mais j'insiste sur la notion d'exception qui fait de ces oeuvres des classiques au milieu d'un océan de mièvrerie.

J'ai fait la ronde des colloques depuis le début de l'année en abordant Watchmen et The Dark Knight Returns. Voici ce qui peut en ressortir rapidement : Watchmen est exceptionnel parce qu'il s'efforce de sortir des contraintes et barèmes du genre de super-héros jusqu'à en faire un drame psychologique avec des personnages principaux de justiciers masqués (pour faire simple), et dont l'analyse soutenue déborde rapidement des limites du genre (parce qu'étudier la figure du livre, l'utopie ou la menace nucléaire est plus intéressant que d'étudier le statut du super-héros dans cette oeuvre). Le Comics Code a tellement réussi à aseptiser le comics de super-héros que dans le dernier chapitre de The Dark Knight Returns, lorsque Batman fout une droite à Superman, on assiste à un moment d'une telle subversivité qu'en comparaison, mettre une image de pornographie scabreuse aurait probablement été moins offensant, tellement l'idée que Batman puisse vouloir mettre son poing sur la gueule de Superman paraissait invraisemblable et choquante.

Les quelques récits moindrement intéressants publiés par la suite ont voulu reprendre ce qui paraissait naïvement faire le bonheur de ces oeuvres: offrir un traitement plus profond des personnages, ce qui s'est trop souvent traduit par un récit où le personnage principal se transforme en enfoiré aux prises avec des problèmes internes graves. Désolé, mais la surenchère de Miller et l'expansion de Moore et Gibbons étaient des innovations, qu'il était impossible de rééditer et péremptoire de vouloir dépasser.

Je ne voudrais pas dénigrer l'ensemble du genre de super-héros par cette affirmation. Je ne pense pas, de toute manière, que les lecteurs de comics de Marvel, DC et leurs semblables sont à la recherche de grande littérature lorsqu'ils se farcissent les aventures des X-Men ou de Superman à chaque semaine. Je regarde des films d'action et beaucoup de sport à la télévision, et je ne me fais pas croire que je m'adonne à une grande activité culturelle et intellectuelle lorsque je le fais. Il en va de même pour les lecteurs de comics mainstream, et je n'en ferai pas tout un plat.

Ce qui est plus problématique, c'est que la totalité de la BD américaine est associée à la production de récits de super-héros, généralisation compréhensible puisque la vaste majorité de ce qui est en kiosque, et connu du public, confirme cette opinion hâtive. Et comme je me suis mérité à mon insu le titre de "spécialiste de la bédé américaine" récemment, je vis mal avec le fait que cette BD soit assimilée automatiquement à une production pauvre du point de vue littéraire.

La BD américaine, c'est aussi Black Hole, It's A Good Life If You Don't Weaken, David Boring, Optic Nerve, Love's Savage Fury, Love and Rockets, et j'en passe... Mais ça, il faut l'expliquer en long et en large, convaincre son auditoire et surtout, insister sur le fait que la BD américaine n'est pas que du combat en costumes de couleurs éclatantes...

Si je tenais absolument à ne pas être assimilé à la BD de super-héros, me direz-vous, j'aurais probablement pu choisir de ne pas aborder Watchmen et DRK dans mes communications. Et je ne pourrais que me défendre en répondant que:

1-Dark Knight Returns, je l'ai abordé dans un colloque sur la violence, où c'était extrêmement pertinent de le faire, d'autant plus que je mesurais l'oeuvre de Miller à l'aune de l'histoire éditoriale de la BD de super-héros américaine
2- Watchmen est une oeuvre inépuisable, qui peut se relire au moins 10 fois sans s'en lasser, ce qui ne nuit pas quand on compte écrire un mémoire dessus. De plus, c'est un incontournable, un passage obligé et une grande oeuvre qui légitime à elle seule le statut d'art que se mérite de plein droit la bande dessinée.
3- Je ne me plaindrai jamais d'avoir à lire ces deux oeuvres, et je ne regrette pas d'avoir une culture limitée mais respectable du genre de super-héros.

(Ceci dit, j'ai un plan quinquennal et au delà qui m'amènera tôt ou tard à aborder les autres oeuvres mentionnées plus haut.)

Malgré tout, je ne pense pas que je pourrais continuer à trairer de la BD de super-héros très longtemps. Le concept qui en est la prémisse peut permettre des réflexions pertinentes mais pas à l'infini, et du reste, c'est vrai aussi du point de vue de la création que de l'analyse. Il y a des limites à l'imagination.

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Il s'est récemment publié un essai philosophique autour du concept de super-héros. Ce livre (que je lirai probablement un jour) doit être aussi intéressant que la vaste majorité de l'art conceptuel: fascinant lorsqu'on se met à réfléchir autour de l'oeuvre, mais pratiquement une punition quand on doit l'aborder au niveau formel. À la place de l'auteur, je me serais rapidement lassé de lire des aventures de Captain America et je serais rapidement retourné à Platon...

mardi 7 avril 2009

Zack Snyder ne mérite pas la mort (mais il devrait s'occuper à autre chose)

Ai finalement vu, un peu contre mon gré et sous prétexte d'intégrité professionnelle, Watchmen le film. Contrairement à ce que je proclamais jusqu'à récemment, je ne suis pas sorti de la salle en voulant tuer tout le monde. On s'entend: je n'ai pas adoré, mais je n'ai pas trouvé que ce film était la pire adaptation de tous les temps.

Je dois concéder quelques points à Zack Snyder: il a créé un univers visuel des plus saisissants, et il sait tourner des scènes d'actions. Celles-ci sont carrément exagérées dans Watchmen, et même déplacées en égard du récit original (qui ne faisait rien pour insister sur la baston).

Quelques gros problèmes, par contre : une des grandes forces de Watchmen était d'intégrer de manière très habile plusieurs trames narratives. Snyder s'est résout à ne pas toutes les présenter dans son film (qui dure déjà un bon 3 heures, alors on peut comprendre). D'ailleurs, même en se "contentant" de la trame narrative principale, Snyder a coupé dans le gras, et le rythme du film est si soutenu qu'on se fait bombarder d'informations à un rythme indigeste. Pas certain que quelqu'un qui n'a pas lu le roman graphique peut tout comprendre au premier visionnement.

Ceci m'amène donc à me (re)poser la question: pourquoi avoir adapté cette oeuvre en film? Le roman graphique est génial à bien des égards, notamment parce qu'il est extrêmement dense (mais plus digeste parce qu'on peut ajuster son rythme de lecture et emmagasiner les informations plus aisément), qu'il entrecroise des trames narratives en apparence indépendantes mais inextricablement liées au final, et parce qu'il opère un bouleversement du récit de super-héros (et même de la manière dont le récit de super-héros est présenté, soit avec une faible proportion d'action et de combats). Si, pour en faire un film, on doit larguer ces éléments de première importance, soit en balançant en rafale la principale trame narrative et en exagérant les scènes d'action pour combler un public qui s'attend à voir un film de super-héros, l'exercice semble assez vain.

Il y a quand même des moments vachement intéressants. Le film en vaut la peine pour les initiés, ne serait-ce que pour le générique d'ouverture, qui aligne les ralentis permettant de mettre en place l'univers uchronique de Watchmen sur fond sonore de Bob Dylan. Apparence aussi que la version DVD fera quatre heures, et que le montage distendu donne moins l'impression d'avoir charcuté le récit.

Je pense quand même que les prix à payer pour transposer le roman graphique en film était trop élevé pour que l'exercice en vaille la peine. Surtout si au passage la fin subit une altération assez importante pour sembler ridicule quand on y repense, et qu'on doive de la sorte laisser de côté des aspect importants de l'oeuvre originale (soit la réflexion autour de l'utopie, et le rapport au pouvoir de la figure de texte imprimé, dont l'absence dans le film fait perdre beaucoup d'impact à la scène finale).

Ceci dit, Zack Snyder peut faire de bons films, s'il renonce à s'attaquer à de grandes oeuvres au propos chargé. Il devrait mieux s'en tirer avec les films de kung-fu qu'avec les drames psychologiques (ce qui, à bien y penser, décrit presque mieux Watchmen que tout autre tentative de classement dans un genre).

jeudi 19 février 2009

Le paradoxe de Zénon

Celui où une flèche est lancée vers sa cible, franchit la moitié de l'espace entre son point de départ et sa cible, puis la moitié de cette moitié, puis la moitié de cette moitié, puis la moitié de cette moitié, ainsi de suite...

Je me sens en plein là-dedans avec la communication que je prépare en ce moment: je pense que j'ai presque fini, je fais relire, ah non faut que tu changes ça, puis je fais relire, ça y est presque mais faut que tu resserres ta structures, puis je retravaille, ah merde va falloir que je fasses un powerpoint...

L'ai toujours trouvé niaiseux ce paradoxe là, mais apparemment, il est bien réel dans certaines situations.

Je vais en profiter pour vous recommander chaudement The Three Paradoxes, de Paul Horschemeier, publié chez Fantagraphics (mais je sais qu'il a aussi été traduit). Objet assez difficile à décrire, où plusieurs niveaux narratifs (et styles graphiques) s'entremêlent et se répondent. Horschemeier est un as de l'expérimentation formelle et de la polyvalence du dessin, mais là où c'était très amusant et éclaté dans Let Us Be Perfectly Clear (également chez Fantagraphics) sans toutefois être complètement parachevé, TTP est parfaitement maîtrisé, et supporte autant qu'il suppose de nombreuses lectures pour être vraiment bien compris.

lundi 2 février 2009

Je l'ai donc pas l'affaire pour trouver des titres pour des articles

Je vous invite chaleureusement à aller visiter Salon Double, une revue en ligne portant sur la littérature contemporaine. Avec une posture éditoriale oscillant entre la prise de position et la critique littéraire, SD propose des "lectures" plutôt que des articles, ce qui permet de traiter d'un ouvrage qui a paru intéressant à quelqu'un sans être obligé de mettre 35 citations à l'appui.

Je connais assez bien les gens derrière SD, et je leur fait une confiance aveugle pour ce qui est d'administer un tel projet (ma confiance aveugle s'arrête là, puisque je ne sais pas dans quelle mesure je goûterais à leur cuisine à l'aveugle sur la simple base de leus qualités de littéraires). En plus, les administratrices m'ont assez fait confiance pour me permettre de publier une lecture sur une BD!

Disons que mon premier jet était tellement mauvais que la lettre de réponse était une merveille de rhétorique, alliant une politesse digne des nobles avec un arrière-goût de "si tu nous renvoies un pareil torchon, on va aller tuer tes chats avant de brûler tes bibliothèques). Le résultat final est en ligne et le titre de ma lecture est horrible. mais c'est rien si on compare avec celles qui s'en viennent, qui porteront les titres: De la mort du rêve américain et d'autres bagnoles bonnes pour la casse (sur Abandoned Cars de Tim Lane) et La paralittérature à la défense de la bande dessinée à la défense de la paralittérature (sur Acme Novelty numéro 19 de Chris Ware).

samedi 10 janvier 2009

Arrivage



Deux bonnes choses se sont produites pour moi, une qui ajoutera un peu de poids à ma réflexion et l'autre qui pourrait ajouter beaucoup de poids aux rangées de mes bibliothèques.

Première chose: j'ai finalement reçu Contre la bande dessinée, de Jochen Gerner. C'est un truc assez étrange publié chez L'association. Un espèce de montage de petits dessins et de citations, autour du thème de la BD, évidemment. Je ne me rappelle plus du tout d'où je tiens mon appréciation pour Gerner, mais le bouquin a l'air chouette, et ça devrait alimenter mes réflexions sur les liens entre texte et image, question qui deviendra très importante dans ma vie plus tard, soit quand j'y consacrerai le temps nécessaire à la rédaction d'une thèse.

(petite parenthèse: un pote m'a bien fait rire l'autre jour, en lancant l'affirmation suivante: "Ils donnent des doctorats à n'importe qui aujourd'hui. Faut juste se présenter au rendez-vous qu'ils te donnent, parler pendant 30 minutes à quatre personnes, et ne pas pleurer. Bon, pour avoir le rendez-vous, faut avoir écrit 400 pages sur un sujet quelconque, mais après ça c'est dans la poche.")

J'attendais depuis tellement longtemps le bouquin que je ne l'attendais plus. Ça fait sérieusement 6 mois que je l'ai commandé. C'est comme ça quand tu fais venir un livre des Europes. Je me rappelle la première fois où j'ai voulu faire venir un livre de France, après avoir demandé à quel genre de délai je devais m'attendre, le commis m'a répondu

-Entre trois semaines et six mois...
-...Quoi?
-Oui, ça dépend si ils vont avoir le temps de le mettre dans le prochain bateau.

Et il était sérieux!

Deuxième chose: je semble finalement avoir été placé sur la liste de presse de Drawn and Quarterly, suite à mes multiples demandes auprès de la responsable des relations médias de cet excellent éditeur montréalais. Bon, ma première BD reçue en provenance d'eux est la traduction en anglais de Nicolas de Pascal Girard, qui est vraiment bon mais que j'ai déjà en français. La différence entre les deux éditions, outre la langue, est que la couverture du Nicolas de D+Q est brune. That's it. Je vous mentionne quand même que le lancement aura lieu le 20 janvier à la librairie D+Q, située au 221 Bernand Ouest dans le mile-end, avec les gens qui puent parfois. C'est peut-être 211 Bernand, mais anyways ça fait une différence de 15 pas dans un sens ou l'autre.

La bonne nouvelle, c'est que je pourrais me mettre à recevoir les nouveautés de D+Q, ce qui me sauverait beaucoup d'argent puisque j'achète presque toutes leurs parutions... Reste à voir où je vais les placer dans ma chambre...

vendredi 2 janvier 2009

Quis custodiet ipsos custodes

J'ai fini il y a environ une heure de lire, pour une deuxième fois seulement, Watchmen, qui va être disséqué par mes soins dans les prochains mois, occupera une partie important de mon mémoire de maîtrise, et qui est possiblement la meilleure bande dessinée de tous les temps (ou en tout cas dans le top 5, peu importe mes humeurs du jour).

Watchmen, c'est la bande dessinée de-super-héros-qui-n'est-pas-vraiment-une-bande-dessinée-de-super-héros, le roman-graphique-qui-a-pas-porté-ce-nom-là-en-partant-mais-qui-est-devenu-le-roman-graphique-le-plus-important.
C'est la BD qui a mérité un prix de littérature (le Hugo) avant même que Maus soit nominé pour un Pulitzer. Et, au risque de me répéter, c'est la meilleure bande dessinée de tous les temps.

Quand des gens non-initiés au 9e art me demandent des suggestions de BD (ce qui arrive très souvent), je commence généralement par des trucs plus mainstream et récents: Shenzen et Pyongyang de Guy Delisle, City of Glass (parce que glisser le nom de Paul Auster dans une phrase, ça en jette...) Quelques Pelures de Jimmy Beaulieu, du Dan Clowes, Blankets de Craig Thompson, du Tomine aussi. J'ai déjà dit à quelqu'un de lire Persépolis, mais je le regrette. mais je ne suggère jamais ce qui sont pourtant deux de mes BD préférées, soit Jimmy Corrigan et Watchmen.

Jimmy Corrigan, quiconque l'a lu (ou s'est essayé) sait que c'est une lecture très exigeante, et complètement décourageante pour les débutants. En plus, faut vraiment accepter de s'arracher les yeux pour en venir à bout. Ou s'acheter une loupe.

Dans le cas de Watchmen, c'est que c'est un peu plus gênant d'en parler en public... Déjà que je dois affronter le scepticisme des gens à qui j'apprends que je fais une maîtrise en études littéraires sur la BD, leur dire d'aller lire une BD avec des personnages costumés, disons que ça n'aiderait pas mes chances d'être convaincant... Le dessinateur, Dave Gibbons, fait du bon boulot, mais dessine comme un dessinateur de comicbooks de super-héros, ce qui est parfaitement logique et conséquent avec Watchmen. Quand on le feuillette, Watchmen ne semble pas se distinguer de n'importe quel X-Men ou She-Hulk.

Mais Watchmen n'est pas que pour les fanboys. Il est évident que les lecteurs ayant déjà trempé dans les univers de super-héros pourront mieux comprendre les allusions aux univers de Marvel et DC, mais même quelqu'un qui ne sait pas comment Spider-Man a obtenu ses super-pouvoirs et qui persévère jusqu'au 3e chapitre de Watchmen comprend rapidement que nous sommes loin de l'univers manichéen et boniche des aventures pour enfants. Watchmen déconstruit la figure du super-héros plus savamment et finement que ne l'a fait Frank Miller en faisant de Batman un psychopathe sadique et fasciste dans The Dark Knight Returns.

En fait, Watchmen propose une lecture tellement riche que je vais en traiter dans trois communications différentes d'ici le mois de juin: à l'aune de l'utopie, de la figure du livre et de la violence. Et il en resterait encore beaucoup à dire.

En terminant, la citation en latin qui fait office de titre à mon blogue est celle qui se trouvait en épigraphe de la Commission Tower de 1987, qui a essayé de tirer au clair l'affaire Contra dans laquelle Ronald Reagan a trempé. Elle est reprise en excipit de Watchmen, et fournit elle-même une des questions fondamentales posées par l'ouvrage, qui déborde les limites de l'univers créé par Alan Moore et Dave Gibbons, à laquelle nous devrions essayer de répondre plus souvent:

WHO WATCHES THE WATCHMEN?

(avant que vous ne me le demandiez, je suis plus convaincu du fait que l'adaptation de Watchmen en film faite par Zack Snyder, le réalisateur de 300 - quel défi! - sera LA PIRE ADAPTATION DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ que je suis convaincu de ma propre existence)