jeudi 25 février 2010

Un millions de dollars pour un comic: ça va pas, non?


En l'espace de quelques jours, des records ont été établis pour la vente aux enchères de deux comic books vieux de quelques soixantaines d'années. En effet, Le premier numéro de Action Comics, mettant en vedette Superman, s'est vendu pour un million de dollars le 22 février dernier, et quelques jours plus tard, le record a été battu par la vente aux enchères du vingt-septième numéro de Detective Comics, dans lequel Batman fait sa première apparition.

Ceci n'est ni fabuleux ni intéressant du point de vue de la bande dessinée, parce que ça n'a pratiquement rien à voir avec l'art. Tout au plus l'objet qui a été échangé de mains est-il un vieux comic book: pour le reste, c'est affaire de commerce, de valeur marchande et de gros sous. Autrement dit, ce ne sont peut-être même pas des fans de bande dessinée qui ont déboursé un tel montant pour se porter acquéreurs d'œuvres historiques (sans forcément être très bonnes); toutefois, ce sont assurément des investisseurs.

Je m'explique. Le format de publication du comic book a été inventé afin de refourguer des comic strips déjà parus dans les journaux. Le support de cette opération de recyclage était médiocre: papier journal, encre merdique, relié avec une agrafe, le comic était conçu pour être vite produit, vite vendu et, d'une certaine manière, vite détruit, créant ainsi la nécessité chez le consommateur d'en acheter un autre. C'est une belle démonstration du vice de fabrication, création du diable faisant en sorte que les produits électriques et électroniques nous pètent dans les mains au bout de quelques années.

Pour renforcer cette idée de produit commercial usiné, de manière à répondre à une demande croissante des enfants friands de bande dessinée et puisque le recyclage de matériel déjà produit ne fournit plus, on invente rapidement, dans les premiers temps du comic book, des shops de "création", dans lesquelles un scénariste, un dessinateur, un encreur, un lettreur et un coloriste travaillent à la même œuvre. Ce qui sort de cette production à la chaîne est évidemment un truc formulaïque créé à partir d'un moule stable, et ennuyeux comme la pluie.

Le Action Comics qui vaut un million de dollars a fait date précisément parce qu'il a "créé un monstre". Le personnage de Superman, quand même inventé avec une visée originale par Joe Shuster et Jerry Siegel, créé la sensation parce qu'il propose une figure iconique qui deviendra très populaire. Les jeunes commencent à réclamer aux vendeurs de journaux "that comic with the man in blue and red", faisant ainsi en sorte que le personnage emblématique devienne le premier critère de popularité d'une série, et non le travail de ses artistes. Incidemment, le choix des couleurs du costume de Superman n'est pas une décision artistique: il fallait que le personnage soit clairement identifiable par les lecteurs, et les contraintes liées aux faibles qualités d'impression à l'époque ont conduit Siegel et Shuster à opter pour des couleurs criardes.

C'est Superman qui a fait en sorte que le marché du comic book a été dominé par le super-héros, au détriment du travail et du style d'un artiste, instaurant une ère historique pendant laquelle le média de la bande dessinée s'est confondue avec le genre du super-héros qui lui était quasi-exclusif et prépondérant. Un support empêchant la pérennité, un récit formulaïque de créature invraisemblable, un lectorat d'enfants: pas étonnant que la bande dessinée a dû attendre longtemps avant d'acquérir le respect aux États-Unis!

Revenons à la question du million de dollars: pourquoi le premier Action Comics vaut-il autant? Bien, justement, parce qu'il est très rare: il a été publié il y a plus de soixante ans, et seul quelqu'un avec une certaine vision d'avenir aurait pu penser qu'il vaudrait une fortune un jour. Cette personne aurait dû, en plus de faire preuve d'un esprit spéculatif étonnant, considérer qu'il était nécessaire de mettre à l'abri son comic sous un emballage le préservant de la corrosion et de l'acidité, de manière à le garder dans un état de préservation décuplant sa valeur.

Quand le marché des comics rares a émergé de manière importante dans les années 1980, les éditeurs ont profité de la vague pour lancer plusieurs séries sans grand intérêt, de manière à mettre sous presse des "numéro 1" qui pourraient potentiellement valoir un pactole éventuellement. Bien des jeunes ont alors acheté des caisses pleines de Night Turtle 1, Invisible Crusaders 1 et Terror Hawk and Lady Sock 1 en pensant à sa valeur éventuelle. Évidemment, on ne peut inonder le marché de produits qui acquéreraient une valeur en vertu de leur rareté: au final, bien de la merde s'est entassée dans les sous-sol de jeunes lecteurs qui n'ont pas fait un sou en se procurant des premiers numéros de séries débiles.

En somme, le Action Comics numéro 1 s'est vendu pour un million de dollars principalement parce qu'il est très rare, particulièrement s'il est en bon état, et aussi un peu en raison de son importance historique. Ce qui est foncièrement stupide, toutefois, c'est que l'acheteur de ce comic n'aura pas le loisir de le lire: le sortir de son emballage lui ferait perdre énormément de sa valeur marchande. C'est un artefact qui perd complètement sa fonction lecturale de par son statut de pépite d'or. Quel lecteur qui se respecte voudrait payer cher pour acheter un livre qu'il serait contre-indiqué de lire? Du reste, on peut le lire facilement, il a été ré-imprimé des milliers de fois: on peut d'ailleurs constater à quel point il n'est pas très intéressant...


Jetez simplement un coup d'oeil à la couverture: on dirait que Superman est un monstre furieux qui détruit la ville et terrorise les citoyens (du moins si on se fie au visage effrayé du quidam dans le coin inférieur gauche de l'image...)

vendredi 19 février 2010

Bon là ça va faire

J'ai laissé la poussière accumuler sur cet espace virtuel depuis tellement longtemps que j'ai eu le temps de visiter un autre pays (dont j'ai ramené une intégrale de Mafalda en langue originale) avant de penser à réactiver mon compte.

Ce qui explique cette longue absence est d'abord le fait que j'ai encore de la difficulté à utiliser le format du blogue correctement. Je me lance toujours dans des grandes envolées qui me prennent un temps à compléter, et disons que dans les derniers mois c'était un investissement de temps inversement proportionnel à la progression de mon mémoire. Maintenant que j'ai complété ce long texte, je me suis dit que je pourrais songer à remettre sur les rails ce projet.

Certains de mes collègues universitaires ont des blogues qu'ils utilisent comme terrain de jeu pour leurs recherches. Je pourrais un peu faire de même: à la fois mettre en valeur les textes déjà publiés ailleurs, déposer mes travaux d'école qui ne seraient jamais diffusés autrement et livrer quelques impressions des machins que je lis au passage, au détriment des trucs plus imposant, pressants et compliqués qui jonchent mon bureau.

Tiens, par exemple, hier je me suis acheté pour une seconde fois Hicksville de Dylan Horrocks parce que je me suis rappelé que c'est un sérieux candidat pour un travail de fin de session dans un séminaire sur l'altérité (ex-aequo avec le Acme Novelty 17 et Generation X de Douglas Coupland), et au passage je me suis ramassé Born Again, une collection de comics de Daredevil scénarisé par Frank Miller et dessiné par David Mazzucchelli (mais disons qu'on reconnaît le style Miller). J'avais acheté à rabais la version française d'une partie de ce récit il y a plus de 10 ans et, bon, je voulais lire la fin, parce qu'autrement je ne suis pas un grand fan de superhéros. Disons que si le récit n'est pas glorieux, contraintes éditoriales Marvel oblige, la plume est chouette et préfigure le ton roman noir de Miller si bien déployé dans les Sin City. Et Mazzucchelli? On comprend son potentiel, qui s'est révélé encore mieux dans City of Glass et qui atteint son apothéose dans Asterios Polyp. Mais je vous en reparle bientôt.

Bon, dans pas trop long je vais mettre en ligne un texte sur l'adaptation de Valse avec Bachir en bande dessinée. En fait, je vais expliquer pourquoi l'adaptation est un peu merdeuse. Et j'ai placé une commande pour l'intégrale d'Alec, le projet autofictionnel d'Eddie Campbell.