lundi 27 juillet 2009

Things to do in San Francisco when you read comics.

(Le titre de cette entrée fait référence à un film que je n'ai pas vu, Things to Do in Denver When You're Dead, mais qui a un titre assez fantastique).

J’ai récemment passé une semaine à San Francisco, ville tout à fait agréable et magnifique, particulièrement escarpée dans certains des meilleurs quartiers et remplie de librairies en tout genre. J’aime la littérature en général et la bande dessinée en particulier, mais j’ai choisi pour ces vacances de me consacrer à la recherche de livres d’écrivains américains en langue originale, puisque les librairies anglophones usagées ne sont pas légion à Montréal et sont moins fournies que celles de la Californie.


Toutefois, je n’allais quand même pas ne pas visiter les boutiques de bande dessinée pour autant!

San Francisco est, après tout, un lieu important dans l’histoire de la BD américaine, puisqu’il fut un point de convergence du mouvement Underground (Zap Comix, anyone?). Mon directeur de recherche m’avait d’ailleurs laissé entendre que beaucoup de boutiques dans Haight-Ashbury présentaient encore des vieux comix et des nouveaux romans graphiques dans leurs vitrines, probablement un peu pour commémorer cette période importante de l’histoire du comic art et beaucoup pour vendre aux touristes des « produits locaux ». En fait, ce fut peut-être le cas jusqu’à récemment, mais présentement il n’en est rien : sur Haight, on peut acheter du beau linge cher de hipster et beaucoup de T-shirts





















(il faut quand même que je mentionne qu’on pouvait acheter des vieux comix underground dans le fond de cette boutique).



Pas trop loin de ce « mythique » coin de rue (qui abrite maintenant une boutique RCVA,et un Ben & Jerry’s), je suis tombé sur Comix Experience, qui serait apparemment le premier établissement du genre dans la ville - et probablement aux États-Unis : le mouvement du direct sale - où les comics ont graduellement cessé d’être principalement vendus dans des kiosques à journaux grâce à l’apparition de boutiques spécialisées - a commencé vers cette époque. La boutique n’est pas très grande, mais assez sympathique, et vend presque à 40% de la BD alternative (en respectant la logique habituelle, soit des super-héros en entrant et des BD plus sérieuses dans le fond). Pas beaucoup de Fanzines, ce qui m’a un peu surpris, et une section spéciale BD homosexuelle, ce qui ne m’a pas étonné.

Dans un quartier un peu moins glamour, et en moins fourni, la boutique Isotope Comics est un très beau local, dont la sélection n’est pas spectaculaire et surtout très orientée sur les créatures avec des super-pouvoirs. Quand je suis passé, le tenancier (qui arborait une coupe de cheveux immonde) était en pleine discussion avec un client qui est le prototype de l’amateur de BD débile : apparence de vierge-de-quarante-ans, lunettes immenses, discute des mérites d’un dessinateur et des pouvoirs d’une membre de X-Force avec la même aisance et autant de sérieux. Je me suis sauvé rapidement.


La pire expérience est survenue dans le Sunset district. Une amie m’avait informé de la présence de nombreuses librairies usagées sur la rue Irving, juste au sud du Golden gate Park. Après investigation, Y A RIEN PANTOUTE DANS CE COIN LÀ!



C’est en arrêtant dans un café que j’ai remarqué Amazing Fantasy, une boutique en face qui avait, peinturée en haut de la vitrine, une grosse muraille de Spiderman. J’ai décidé d’aller vérifier, en me disant que mon périple dans ce quartier ennuyeux n’aurait pas été en vain. Quelle déception : à peine pouvait-on trouver quelques copies de Optic Nerve, deux ou trois titres de Drawn and Quarterly et l’indispensable Maus. En revanche, il y avait des copies dans un état incertain du seizième round de combat entre Hulk et un ennemi ennuyant, réalisé par des artistes moyens, pour la modique somme de 75 dollars


Toutefois, pire encore que cette boutique, j’ai découvert dans Castro, le quartier gai, un comic book store qui ne possédait aucune bande dessinée ne mettant pas en vedette des justiciers masqués. Un rêve de geek, un cauchemar pour moi. Pour prouver comment les tenanciers du magasin n’ont rien à faire de mon opinion et de celui de gens qui croient que la bande dessinée est un média qui ne se limite pas à un seul genre narratif, le magasin s’appelle Whatever


Mais, pour prouver que je ne suis pas de mauvaise foi, je dirais que si j’habitais à San Francisco (ce qui ne devrait jamais se produire, considérant les coûts prohibitifs des loyers), je ferais tous mes achats chez Al’s Comics. Situé sur la rue Market, Al’s Comics vend beaucoup de comic books de super-héros (d’ailleurs je ne blâme aucun des commerces précédemment mentionnés d’en tenir énormément, ça vend beaucoup et il faut payer le loyer prohibitif mentionné plus haut), mais aussi des vieux Archie, des vieux comix underground, des vieux n’importe quoi. La section alternative n’est pas aussi fournie que Drawn and Quarterly (admettez que c’est difficile à surclasser), mais la boutique est très jolie, pleine à craquer, le proprio est avenant et m’aurait même offert de commander une rareté nonobstant le fait qu’il me connaissait depuis 5 minutes, et j’ai failli y acheter une tasse à café de Watchmen qui change de couleur lorsque remplie d'un liquide chaud.


Ce qui m’amène à…



… qui est minuscule, à mon grand dam. J’ai quand même pu y admirer des originaux de Herriman (sans retouche, sans surprise), de Eisner (une planche de Spirit, soit une des huit qu’il faisait par semaine, et avec beaucoup de retouches, sans surprise mais quand même impressionnant), de Crumb (vraisemblablement griffonné en 5 minutes sur une feuille mobile, mais tout de même techniquement parfaite, sacré Crumb), et de Schultz (qui était vraiment, vraiment immense, surtout considérant que le vénérable Sir Charles a produit un strip original à chaque jour de sa carrière de plus de 40 ans – en faisant des retouches millimétriques au sourire de Linus, pour la peine).


Le clou de la collection est arrivé quand j’ai tourné le coin de la première pièce. Ce qui a d’abord frappé mon regard était une immense statue de Rorsach, à l’effigie du personnage dans le film. Je me suis d’abord dit « bienvenue au musée des horreurs », puis…


L’extase.


Des originaux. Des comics première édition, des sketches de Gibbons, des thumbnails, des planches…


L’extase.


Bon, ce ne sont pas les planches originales les plus saisissantes que j’ai vu dans ma vie, mais comme Watchmen est dans mon top 10 de bandes dessinées préférées et que j’y ai déjà consacré deux communications de colloque et une conférence – sans parler du chapitre de mémoire qui est en route – le moment était transcendant.


Après avoir admiré de manière inquiétante ces objets d’art, je me suis dirigé vers l’entrée, où m’attendait mon appareil photo et le sac qui le contenait. Je reproduis l’intégrale de la conversation avec le bénévole du guichet d’accueil :


- Hey, I’m pretty sure we’re not allowed to take pictures in the museum, but you see, I’m writing my master’s paper on Watchmen, so I’d really appreciate it if you’d let me take a couple of pictures of the exhibit.

- Yeah, but visitors are not allowed to take pictures inside the museum.


-It would really mean a lot to me. I won’t use my flash.


-… Really, we’re not allowed-


-Allright, listen, either you let me take those pictures, or there will be blood.


-…


-…


-…I’ll check with the manager


Après un court palabre où le pauvre employé a probablement expliqué à son patron qu’un fou furieux l’avait menacé physiquement, il est venu me donner l’autorisation de prendre des photos qui ne sont vraiment pas glorieuses, mais qui témoignent tout de même du fait que j’ai vécu ce moment extraordinaire :


Par contre, mon réel coup de cœur de San Fancisco pour les amoureux de bande dessinée est survenu sur la rue Valencia, un espèce d’hybride entre la Main, le plateau et la rue Masson (pour son absence de prétention). Je flânais tranquillement à la recherche de rien en particulier quand je me suis retourné dans raison et ai spontanément crié dans ma tête OH SHIT UN CHRIS WARE :


Après vérification plus détaillée, ce n’était pas un Chris Ware original, parce que Chris Ware travaille bien sur des grandes surfaces (pour de la bande dessinée), mais il aboutit quand même à des résultats qui doivent être lus avec une loupe. Il est donc évident que Chris Ware aurait pris autant de temps à réaliser cette murale que Michel-Ange a pris de temps pour peindre la voûte de la chapelle Sixtine, et à mon avis, on aurait dû considérer avec la même révérence cet accomplissement artistique. Après vérification, il s’agit en fait d’une reproduction du quatrième de couverture de Quimby the Mouse. Et même si ce n’est pas l’original, n’est-ce pas fantastique?


En somme, même si San Francisco propose surtout des boutiques de bande dessinée desservant une clientèle férue de super-héros, on peut se trouver de la BD de qualité dans cette ville, et je ne mentionne même pas les sections « comics and graphic novels » des librairies usagées, remplies avec goût et connaissance de la production contemporaine. Dans quelle autre ville pourrait-on trouver des fanatiques prêts à rivaliser en acharnement avec la méticulosité de Chris Ware afin de reproduire son travail? Dans quelle autre ville peut-on trouver une boutique de design graphique où on vend l’édition anglaise de Nicolas?


Réponse : je ne sais pas, je ne voyage pas beaucoup, mais je répondrais New York à tout hasard.