dimanche 26 octobre 2008

Une BD de football?

Alors que je m'apprête à passer au moins six heures vissé à mon écran cathodique pour regarder du football, je me pose la question : est-ce que je serais heureux si on publiait une bande dessinée de football? Mes deux passions seraient réunies, après tout!

Je peux me montrer sceptique sur la seule base que du sport en bande dessinée ne peut pas être aussi intéressant que celui que je regarde compulsivement à l'écran; moins de mouvement, moins d'enjeu, fort probablement moins de matériel (un match de football dure une heure de jeu, et sur chaque jeu de dix secondes il peut se passer plus d'une chose intéressante à représenter). Oh, et aussi, à moins d'être un connaisseur, les dialogues seraient à peu près incompréhensibles pour le commun des mortels. Extrait d'un monologue de commentateur avant le snap:

"So late into the game, the Giants are looking at a third-and-long situation. They brought in their second string back, lined up two receivers in the slot, they want to go for a five or seven steps drop, but that may be hard against this tough Steelers defense, who may go for a nickel formation, with tho safeties giving looks of an inside blitz"

ou encore une conversation dans le caucus:

"Okay, Jay, you go for a 10-45 left, Herm, hold on to the blitzing LB, Plax you take the fade route, and if it looks sour let's go for the screen pass"

Pardon?

J'ai des gros doutes qu'un éditeur prendrait une chance là-dessus.

Par contre, je sais qu'il existe des séries de manga pour pratiquement tous les sports pratiqués au Japon; on a droit à des séries sur le soccer, le basketball, le ballon-chasseur, la natation et le ping-pong!

Ceci semble ridicule, et pourtant, je me souviens avoir vu une double page d'un manga de ping-pong qui m'avait vraiment impressionné. Le nombre élevé de petites cases entraînait un rythme de lecture rapide, un usage peut-être excessif de lignes de motion dynamisait les images et les gros plans très expressifs des visages des pongistes complétait l'intensité élevée de cette séquence.

Autre chose qui me permet de penser qu'une bande dessinée de football ne serait peut-être pas complètement nulle est le traitement remarquable que James Sturm a fait d'un autre sport américain fort populaire, quoique réputé pour être d'un ennui mortel par ses détracteurs: le baseball. Autant The Golem's Mighty Swing et Satchel Paige: Striking Out Jim Crow ( que Sturm a scénarisé) sont deux très bons romans graphiques (quoique très moralisateurs) dont le protagoniste principal est le baseball. Il faut évidemment connaître un peu plus que les rudiments du sport pour apprécier ces oeuvres, mais les représentations de situations tendues et de jeux enlevants lors d'une partie de balle sont très réussies. Il faut aussi dire que l'histoire de Satchel Paige est fascinante (je vous invite évidemment à aller lire ces deux romans graphiques). La qualité de ces oeuvres tient en grande partie au choix de moments-clés des actions athlétiques impliquées dans le baseball (actions très rapides pour un sport aussi lent). Voici deux exemples:


(extrait de Satchel Paige)
La première image est très réussie : le lanceur est presque entièrement replié sur lui-même et s'apprête à lancer l'ensemble de son corps (et la balle) vers le marbre. Les autres le sont moins: montrer l'élan, l'attrapé du receveur et la décision de l'arbitre dans une même case pose problème en ce qui a trait à la représentation du temps.


C'est mieux ici : la première case avec l'attrapé à l'extérieur de la zone de prise et le mouvement du frappeur pour éviter le lancer, avec le "ball two" qui résume l'action; la deuxième case avec le lanceur qui reçoit les signaux du receveur et rumine sa stratégie pour le prochain lancer; la troisième case avec le coureur au premier but qui se parle à lui-même à voix haute, et le joueur défensif aux aguets; la quatrième case avec le lanceur qui se rétracte sur lui-même; la cinquième case où le frappeur est dans une position peu élégante après son élan, ce qui explique un peu pourquoi il a frappé une fausse balle; la sixième case où le lanceur a déjà projeté son torse vers l'avant et le bras qui ne manquera pas de faire de même quelques fractions de secondes plus tard. Ces vues intercalées de plusieurs points de vue du match rendent cette séquence rapide, diversifiée et dramatique. Et c'est du baseball!

Alors, une bonne idée ou pas, une BD de foot? The jury is still out on this one. Pour le moment, je me tourne vers le "vrai" football qui a commencé à l'écran.

jeudi 23 octobre 2008

Adrian Tomine


Même sans savoir que c'est pour illustrer un article qui dénonce le fait que des itinérants soient utilisés comme "décor" dans le prochain film de Jamie Foxx, cette image parle d'elle même.

mercredi 22 octobre 2008

De l'eau au moulin

Bon, j'ai pas envie de parler en long et en large de la question que j'ai soulevé dans ma dernière entrée, alors je reproduis (et réédite) le texte d'un courriel que j'ai envoyé à un pote il y a environ deux semaines, pour lui répondre au fait que je tentais de dissimuler le terme BD dans une demande de bourse:

Je pense, en mon for intérieur, que le roman graphique est tout simplement un format éditorial singulier de la BD. Le terme ne devrait pas servir à désigner un engagement artistique net, une école esthétique ou un second coming of the Christ. Un roman graphique, c'est une BD de 150 pages ou plus, and that's that.

Si je ne me permets pas de faire cette nuance, c'est parce que pour une fois, le caractère prétentieux du terme Graphic Novel (parce qu'à la base, Will Eisner a employé le terme juste parce qu'il était écoeuré de se faire dire par des maisons d'édition sérieuses qu'ils ne publieraient pas de comics) sert ma cause. Quand j'évoque l'idée d'un "héraut de la nouvelle bande dessinée", je laisse entendre que le GN permet de présenter un objet qui tend vers le high-brow art et qui permet de réclamer une place à la table des adultes. Est-ce que je pense que c'est correct de vouloir occulter l'histoire de la BD juste pour faire sérieux? non. Est-ce que je pense que la BD est équipée pour faire sérieux en ce moment? non plus. Est-ce que je pense que c'est crissement fallacieux comme stratégie de jouer avec les mots pour transformer la perception de la BD chez les littéraires ? Mets-en, sauf que ça marche.

Quand on dit Graphic Novel, on pense à Maus, à Jimmy Corrigan et à Persépolis (ugh) et quand on dit BD, on pense à Tintin, Superman et Astérix. De sorte que les bédéistes actuels qui entreprennent des projets artistiques visant autre chose que le divertissement décident dans une écrasante majorité du temps de produire un roman graphique. Si je choisis de mettre de l'avant le roman graphique plutôt que la BD dans mon projet, c'est autant pour convaincre le jury que pour constituer un corpus cohérent et d'oeuvres que je vais avoir envie d'étudier pendant 4 ans.

La BD est comme le cinéma, la littérature et la musique: c'est d'abord et avant tout un média que tu peux choisir d'employer pour faire de l'art aussi bien que de la merde. Le cinéma, c'est aussi bien Network que (insérer titre de film mettant en vedette Lindsay Lohan). La littérature, c'est Cervantès autant que Dan Brown. La musique, c'est Miles Davis et 50 cents. La BD, c'est Dan Clowes autant que Stan Lee. Le problème, c'est que la musique est d'office considérée comme de l'art, alors que la BD, c'est pas de l'art si ça vient pas en format roman graphique. Employer le terme Roman Graphique jusqu'au galvaudage est un passage nécessaire pour que les gens réalisent qu'on peut faire sérieux en dessinant des petits bonhommes et en mettant des onomatopées en rouge pétant dans une page. Peut-être qu'un jour, on va pouvoir se passer du terme, mais pour le moment, c'est pratique en sacrament si tu veux pas avoir l'air d'un fanboy quand tu parles avec des littéraires intello qui pensent que Kafka c'est le boutte de la marde.

Si tu lis Groensteen (t'auras sans doute pas le choix pour ton cours sur la BD), tu vas voir que la postérité le reconnaîtra probablement comme aussi important pour l'étude de la BD que Genette l'a été pour la narratologie (à ceci de différent que les deux n'ont pas le même retentissement). Par contre, Groensteen a l'air un peu bênet quand il vante les mérites de la BD en donnant comme exemple des planches de Hergé. On parle d'une pédale accompagnée d'un alcoolo qui se porte à la rescousse de jeunes hommes effeminés aux quatre coins du globe.

Vous m'excuserez l'écorchage au passage de Tintin et Persépolis, j'ai des comptes à régler avec eux.

mardi 21 octobre 2008

Prémisse d'un débat

Il va bien falloir qu'un jour j'aborde la foutue question de la nomenclature problématique de ce médium que je chéris et qui, dans la francophonie, est généralement désigné par une abréviation .

J'ai une position ambivalente quant à l'emploi du terme BD pour désigner mon objet d'étude (et mon plus grand intérêt de manière plus générale). On entend souvent "ça fait très bande dessinée", "un scénario digne de bande dessinée" ou encore "une esthétique digne de la bande dessinée" de la part de critiques tout acabit qui auraient intérêt, non pas à relire leurs classiques (ils trouveraient confirmation de leurs préjugés dans Tintin, Astérix, Superman ou Archie) mais plutôt à lire leurs nouveaux classiques. Voilà pourquoi de nouvelles tentatives, aussi louables que malhabiles, de renommer la bande dessinée ont fait leur apparition: littérature graphique, littérature dessinée, roman graphique, graphic novel, graphica, comic art. Vouloir obnubiler un héritage considérable de cette pratique en proposant une désignation plus gracieuse est à la fois fallacieux et nécessaire, parce que ça permet de distinguer entre Jimmy Corrigan et The Incredible Hulk. Par contre, on parle quand même de la même chose quand on parle de BD ou de littérature graphique: pour la plupart des gens, la différence entre une page dessinée par Chris Ware ou par Jim Steranko est d'ordre esthétique, mais c'est essentiellement la même chose, de la même manière que comparer une page de The Road de Cormac McCarthy et une page de Da Vinci Code de Dan Brown sans s'attarder aux détails, ni aux oeuvres en général et ce qu'elles proposent, ne permet pas de différencier ces deux livres qui appartiennent de manière plus large à ce qu'il est convenu d'appeler la littérature.

J'hésite encore entre embrasser l'ensemble de la BD comme mon dada ou vouloir me restreindre et me défendre en me retranchant sous le "roman graphique". Je le fais professionnellement pour des raisons de politique et de respectabilité, et aussi par préférence pour des oeuvres plus substantielles, mais je doute moi-même de la validité de cette position.

Je viens de tomber sur un passage de l'excellent entretien entre Frank Miller et Will Eisner publié chez Dark Horse en 2005. Deux des plus influents bédéistes américains qui discutent sans forcément être d'accord, ça donne lieu à des échanges des plus intéressants. Voici le passage en question:

"(Eisner) [comics] is a vehicule with which one can do what you call outrageous things and create new and unusual ideas. But the medium itself, the business of arranging images in an intelligent sequence to tell an idea or story, has long since stopped being a novelty as a medium

(Miller) It's definetly been proven as an art form; I don't think we need to plead that case anymore. We don't need to keep rationalizing our existence anymore" (p.178)

Même si Miller est un peu arrogant et idéaliste dans son affirmation, je suis d'accord avec lui. Je vais encore continuer à employer "roman graphique" plus souvent que BD, parce que je lis plus de roman graphiques que de BD traditionnelle dans le sens éditorial du terme. Mais je ne crois pas que j'aie à prouver à qui que ce soit la validité artistique de la BD. Si quelqu'un pouffe de rire et fait une allusion mesquine à Tintin, je serais en droit de répondre "si tu t'étais donné la peine de lire de la BD depuis que tu n'es plus un enfant, et que tu avais cherché plus loin que dans la section jeunesse d'une bibliothèque ou une librairie, tu ne serais pas de mon avis".

Je déblatérerai plus longuement sur le sujet prochainement.

samedi 18 octobre 2008

Exercice auto-dépréciatif

Dans le cadre de ma demande de bourse (que je considère comme une extension de mon corps tellement je passe de temps à y penser et y travailler), il faut que

a) dans un premier temps, j'écrive en deux pages mon projet de doctorat, lequel sera contenu en 350 pages au terme d'années de réflexion. Le conseil de la personne-ressource mise à notre disposition par notre charmante université (celle qui a construit le plus grand cadavre de bâtiment que contient le centre-ville) m'a indiqué que la demande de bourse est tout sauf un exercice de modestie: faut que j'affirme avec aplomb mes hypothèses, ma méthodologie, bref faut que je vende ma salade et que je démontre que je suis un candidat exceptionnel à grands coups d'excès de confiance

b) dans un second temps, que je fasse acte de contrition et que je justifie mes résultats franchement mitigés du baccalauréat par tous les moyens. Sortez les mouchoirs.

C'est après avoir écrit cette section que j'ai fait cet étonnant constat : je dois me comporter comme un bédéiste d'auto-fiction!


L'auto-fiction est une tendance lourde dans la bande dessinée contemporaine, et les bédéistes aiment rappeler à leur lectorat à quel point ils s'haïssent. Seth, Chris Ware, Joe Matt et Joe Sacco se sont apitoyés sur leur sort au point de nous faire croire qu'ils n'ont pas une once d'estime de soi dans leurs corps. Art Spiegelman est un dépressif chronique, et le dernier truc qu'il a sorti est un supplément au dernier McSweeney's Quarterly intitulé Autophobia. Marjane Satrapi passe beaucoup de temps dans son Persépolis à nous rappeler comment elle l'a pas eu facile (mais se montre trop complaisante à son propre égard pour susciter ma sympathie). Lewis Trondheim a tellement d'états d'âme dans Approximativement qu'il doit se dédoubler pour se remettre en question, la soliloque ne lui suffit pas. Pour ce qui est de Alison Bechdel et Chester Brown, difficile à dire, z'ont l'air d'être des robots.

Bref, ces artistes se lamentent sur leur existence, déplorent leur manque de talent, traversent des crises existentielle aussi souvent qu'ils traversent la rue.

Et pourtant, ils passent des années sur des oeuvres de plusieurs centaines de pages. Disons qu'il faut un peu croire en son talent pour s'appliquer à une telle tâche, difficile de croire qu'ils sont aussi défaitistes qu'ils le prétendent.

Je me souviens plus c'est en lisant quelle BD d'auto-fiction que je me suis écrié "LÀ, ÇA VA FAIRE, GANG DE CHIÂLEUX" et que j'ai fait un embargo sur l'auto-fiction qui a duré quelques mois. L'an passé, Peter Kuper, avec son sublime Stop Trying to Remember, m'a réconcilié avec le genre.

Tout ça pour dire que cette attitude contradictoire des bédéistes auto-fictifs, je la comprends un peu mieux maintenant, parce que j'ai été obligé de l'adopter.

Je n'aurais sans doute pardonné à ces artistes leur attitude de pleurnichards s'ils ne m'avaient pas fourni d'aussi bonnes lectures (sauf Satrapi).

Pourquoi?

J'ai déjà essayé de tenir un blogue sur ma vie et mes observations sur celle-ci. Je les ai abandonnés rapidement. M'intéressait pas d'écrire sur ma vie autant que de la vivre.

Puis là, je tombe sur une entrée de blogue d'une collègue, où elle m'appelle "son pusher de BD". Je me suis dit dans un premier temps que si elle est accro à mes livraisons, je devrais me mettre à la charger, puis, un peu honteux de cette pensée avare, je me suis dit que c'est vrai que je fais des bonnes recommandations de lectures de BD.

Je vais donc faire un blogue sur le comic art : c'est une constante dans ma vie, je ne manque pas d'inspiration quand vient le temps d'en parler, je pourrais même développer mes hypothèses de recherche sur la question quand je serai moins paresseux. Et quand je le serai, je ferai comme bien des gens : je glanerai des images sur la toile et les flanquerai sur ma page en guise d'entrée.

That's it for now. Faut que je continue à peaufiner ma demande de financement au gouvernement (si jamais on m'accorde un montant substantiel pour étudier les systèmes sémiotiques complexes du roman graphique contemporain, je pense que je vais envoyer une lettre à Harper pour lui apprendre, ça devrait l'achever).